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A Monreale, sur les traces des rois normands de Sicile

  • Pauline de Préval
  • 18 oct. 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 26 août



Chevet de la cathédrale de Monreale

Au carrefour de l’Afrique, de la Grèce et de l’Italie, la cathédrale de Monreale domine la Conque d’Or et la ville de Palerme. De loin, ses volumes pleins, flanqués de deux tours, évoquent une abbaye romano-normande. De près, son décor d’arcatures qui se chevauchent et de rosaces en opus sectile ferait hésiter entre un palais arabe et une église romaine. A l’intérieur, ses mosaïques nous plongent dans la gloire de Byzance. Avec l’esprit de synthèse, la vigueur et la souplesse qui caractérisent les rois normands de Sicile, Guillaume II de Hauteville unit dans cette cathédrale, construite entre 1172 et 1176, toutes les splendeurs des civilisations qui se succédèrent sur l’île pour magnifier la royauté divine.


Comme son grand-père, Roger II, Guillaume II de Hauteville rêvait d'une thalassocratie chrétienne qui rayonnât jusqu'à Pise, Carthage et Byzance. Il signa lui-même la fin du royaume normand de Sicile en faisant alliance avec Frédéric Barberousse, dans l'espoir de conquérir Byzance, mais sa cathédrale continue d'incarner la plus grande tentative d’unité jamais réalisée entre cultures du bassin méditerranéen, chrétientés d’Orient et d’Occident.



Mosaïque cathédrale de Monreale - Christ Pantocrator
Cathédrale de Monreale - Christ Pantocrator © Pauline de Préval

Ce qui frappe d’emblée, quand qu’on y entre, c’est son Christ Pantocrator. Entouré des hiérarchies célestes et terrestres, il s’élève dans l’abside avec une majesté qui rappelle ses propres paroles : « mon Père est en moi, et moi dans mon Père » (Jn 10, 38). De sa main droite, il trace son monogramme IC-XC et invite au silence. L’église entière semble un déploiement sa Parole toute-puissante : il suffit qu’il étende les bras pour que l’espace et le temps se développent. Il est celui en qui tout a été créé et en qui tout doit être récapitulé : l’histoire qui figure sur les mosaïques et le cosmos qui le chante à toute heure du jour. L’architecte tout mit en œuvre, dans ses murs, pour faire coïncider les heures de la lumière avec celles de sa vie.


Son orientation, la taille et la disposition de ses fenêtres et de ses colonnes furent calculées de manière à ce que, le 20 ou le 21 juin, lors du solstice d’été, le soleil qui filtre à travers les baies hautes de la nef, côté sud, trace un chemin de lumière qui suit l’axe central, jusqu’à l’autel. Le 24 juin, tout proche, est la fête de saint Jean-Baptiste, au sujet duquel Zacharie prophétisa : « Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix » (Lc 1, 76-79).


Jean-Baptiste lui-même avait dit : « il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue » (Jn 3,30). À partir de sa fête, la lumière commence à croître dans la nef, pour devenir maximale lors du solstice d’hiver, qui coïncide avec la naissance du Christ. Tous les jours à midi, le soleil touche les colonnes, en partant de leur base, le 25 mars, jour de l’Annonciation, pour remonter jusqu’aux chapiteaux, le 25 décembre, jour de la Nativité. Par ce dispositif, « l’église devient la démonstration de la façon dont le ciel est passé sur la terre », comme l’écrit Simon de Thessalonique.



Mosaïque de la cathédrale de Monreale - Création du monde et histoire de Noé
Cathédrale de Monreale - Création du monde et histoire de Noé © Pauline de Préval

Mosaïque de Guillaume II de Sicile dans la cathédrale de Monreale
Guillaume II de Sicile couronné par le Christ à l'entrée du choeur © Pauline de Préval

Chaque fois que je vois ses mosaïques, je songe à ces vers de William Butler Yeats :


Ô vous sages debout dans le feu de Dieu

Comme dans l’or sacré d’une mosaïque,

Sortez du feu sacré, dans le tournoiement d’une gyre,

Et enseignez à mon âme le chant.


Comme les mélodies byzantines ou grégoriennes dilatent le cœur pour lui faire épouser le Verbe divin, les figures qui se meuvent dans le ciel en fusion des mosaïques dilatent le cœur à l’échelle du Pantocrator. Les deux arts se complétaient d’ailleurs pour faire de la liturgie une expérience totale. On dit souvent la mosaïque hiératique, mais elle palpite d’une vie différente à chaque heure de la journée. Tout l’art des Byzantins consista à faire glisser la lumière sur les murs des églises de sorte qu’elle ne se voie pas, mais semble émaner d’eux, et à lui donner vie en variant la forme et l’inclinaison des tesselles. À Monreale, où elles couvrent près de 10 000 m2, elles saturent si bien l’espace que leur vue est un choc.


C’est en venant de Ségeste, à pied, que je les ai découvertes. Pendant trois jours, entre collines et mer, je m’étais imprégnée de la beauté des paysages qui se dévoilaient en perspectives étagées jusqu’aux ciel. En entrant dans la cathédrale, c’est comme s’ils s’étaient retournés de l’intérieur pour me révéler leur gloire : le Christ, la Vierge et les saints qui s’élevaient dans l’or de l’abside rutilaient du brun et de l’ocre de la terre fertile de la Conque d’Or, du bleu du ciel et de la mer qui miroitaient en des scintillements plus ou moins vifs, du vert des oliviers, des vignes et des ifs, emplis d’une sève plus ou moins dense, du jaune des citrons, des avoines et des blés qui s’étaient gorgés de soleil tout l’été. Alors, Dieu n’était plus devant moi, dans l’image du Pantocrator, mais en moi et en toute chose qu’il éclairait d’une lumière sans ombre.


Là, « les présences sont mutées en absence pour que les absences soient réinstaurées en présence dans la splendeur de l’absolu », écrit Gabriel Bounoure. Leur iconographie est relativement traditionnelle, puisqu’elles racontent l’histoire du salut, depuis la création d’Adam et Ève jusqu’aux actes des apôtres, mais leurs concepteurs eurent un éclair de génie qui résume, en une image, de la puissance de cette cathédrale : sur un mur du sanctuaire, Jésus, après sa résurrection, partage le pain avec ses disciples. Juste à côté, les mêmes disciples sont assis devant la même table, mais Jésus, absent, est remplacé par le pain qu’il vient de rompre. Aucune cathédrale ne rend son absence plus présente. Elle sature toute chose d’une vie bienheureuse qui s’infuse en nous par les yeux.



Mosaïque de la cathédrale de Monreale en Sicile - Lutte de Jacob avec l'ange
Cathédrale de Monreale - Lutte de Jacob avec l'ange © Pauline de Préval

Originaire de Normandie, Guy de Maupassant ne pouvait qu'être sensible à cet art, à la fois exotique et familier. Du cloître de la cathédrale de Monreale, il écrit : « il jette dans l’esprit une telle sensation de grâce qu’on y voudrait rester presque indéfiniment ».



Cloître de la cathédrale de Monreale
Cloître de la cathédrale de Monreale © Pauline de Préval
Chapiteau du cloître de la cathédrale de Monreale
Chapiteau du cloître - Les saintes femmes devant le tombeau vide du Christ © Pauline de Préval

 
 
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